22 juin 2013

Revoir les modèles des relations publiques et la théorie de l'excellence de Grunig


Depuis près de 30 ans, le monde universitaire enseigne les relations publiques en s'appuyant, entre autres, sur les quatre grands modèles classiques des relations publiques établis par Jim Grunig et Todd Hunt (1984).


Il s'agit donc d'une théorie qui a servi de nombreux universitaires (dont moi ici) pour expliquer non seulement l'évolution historique des relations publiques mais également pour ancrer la pratique à titre de fonction de gestion déterminante dans les organisations.

Le modèle symétrique bidirectionnel (le 4e) devenait également une sorte de vision d'excellence, voire même d'idéal à atteindre en relations publiques. Le professeur Bernard Dagenais (Université Laval) - entre autres universitaires - a souligné maintes fois qu'il s'agit d'un modèle peu réaliste (ici).

Malgré des critiques assez bien soutenues (éthique, pouvoir, préjugés occidentaux, etc.) on doit reconnaître que la théorie de l'excellence en relations publiques a permis d'établir une vision, une valeur et des champs d'intervention aux plans fonctionnel, organisationnel et sociétal. N'oublions pas que Grunig et son équipe de chercheurs ont été parmi les premiers à parler de responsabilité sociale...

La théorie de l'excellence en relations publiques dans un monde socio-numérique

Stephen Waddington postule dans un article de juin 2013 (ici) que les quatre modèles grunigiens ainsi que la théorie de l'excellence en relations publiques placent toujours l'organisation (ou une marque) au centre de tout, donnant ainsi l'impression d'un contrôle de la communication et des relations. Dans un monde socionumérique, ceci n'est plus vrai ou même possible. 

Les praticiens et universitaires du Royaume-Uni ont été parmi les premiers à signaler les limites des modèles tout en soulignant qu'ils ont été développés à une époque bien définie, pré-web et certainement pré-médias sociaux ou web 2.0, dans laquelle les structures organisationnelles reposaient fortement sur des structures hiérarchisées. 


Par exemple, on reconnaît volontiers que la majorité des informations circulant sur le web aujourd'hui à propos d'une marque ou d'une organisation n'est plus contrôlée par cette dernière. C'est ce que soutiennent les auteurs britanniques Philips et Young dans leur livre Online Public Relations (2009).

Pour ma part, j'ai commis quelques billets au sujet de l'incidence de la transparence, de la porosité et du pouvoir de transformation sur la réputation à cause d'Internet et notamment des médias socionumériques (lire la première partie ici).


En gros, on retient de l'article de Waddington un recensement de diverses critiques du modèle de la communication bidirectionnelle symétrique. 

Par exemple si la communication peut souvent apparaître symétrique (conversation/engagement sur un blogue ou une page Facebook) la relation ne peut jamais être véritablement symétrique (je ne crois pas que Grunig l'ait prétendue non plus en pratique).

Le contenu (notamment par le biais des mèmes Dawkiniens) n'est jamais passif ou inerte. Il évolue, adapté et réinterprété de manière diverse. Le modèle de la communication symétrique bidirectionnelle ne prendrait pas en compte cette dynamique (ici aussi, je ne crois que Grunig insiste sur le fait que le contenu soit fixé et compris par tous de la même façon).

Cependant, Waddington démontre l'importance des nouvelles circulations de l'influence à l'ère d'Internet (au nombre de six) en s'appuyant sur le modèle de la communication organisationnelle proposé par Philip Sheldrake

Voici l'illustration du modèle en question:





Parmi les six types de circulations (flèches), on comprend bien la première et la troisième où l'organisation et ses parties prenantes peuvent s'influencer mutuellement (communication symétrique).

Avec Internet, ce qui devient à la fois fascinant et un peu plus compliqué réside dans la deuxième circulation (et en bonne part la cinquième aussi). 

Ici, ce sont les diverses parties prenantes qui peuvent échanger et communiquer à propos des organisations; il s'agit de circulations critiques eu égard à leur réputation. De plus, ces circulations d'information sont agrégées et indexées; on les retrouve assez facilement avec les moteurs de recherche.

Selon la critique convenue, le 4e modèle grunigien met l'accent sur un axe vertical (du haut vers le bas et vice-versa entre une organisation et ses parties prenantes) alors que c'est dans l'axe horizontal (des parties prenantes vers d'autres parties prenantes) que les échanges les plus significatifs ont lieu.

Selon Sheldrake, quoique idéaliste, ce modèle n'est pas fautif mais il démontre de plus en plus ses limites à l'ère des médias socionumériques; il ne suffit plus pour expliquer les relations publiques contemporaines.

Pour rendre mieux compte de ce qui se passe, le modèle doit considérer d'abord le point de vue du public, se centrer sur les parties prenantes et les divers influençeurs en considérant leur impact sur l'organisation plutôt que le contraire.

D'une certaine façon, ces analyses et critiques rejoignent en bonne part celles de Matthieu Sauvé dans son livre Les relations publiques autrement (2010) où l'organisation n'est plus le centre principal ni l'assise fondamentale (un modèle social soutenu par les paradigmes interprétatif et critique).

Quoi qu'il en soit, malgré l'importance de ces réflexions critiques, les travaux de Grunig restent encore valables et utiles. Leurs valeurs historiques sont indéniables. Grunig a fait des efforts considérables pour professionnaliser les relations publiques et les sortir du modèle propagandiste et persuasif. C'est pour cela, entre autres, que le Québec lui rendait hommage en 2011.


Merci de votre lecture !

Patrice Leroux 




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