8 avril 2011

Nation de curateurs (Curation Nation) de Steven Rosenbaum



La première fois que j'ai entendu parler du mot curation, dans le sens web le plus actuel du terme, c'est John Borthwick qui l'avait prononcé à l'occasion d'une participation à l'émission The Gillmor Gang durant l'automne 2009... Voici ce qu'il avait à dire, entre autres, sur la curation, au début de l'année 2010.

Pour d'autres, le mot aurait été prononcé pour la première fois - hors des circuits de la muséologie- dès 2004 par Chris Anderson, le fondateur/présentateur des célèbres conférences TED qui s'en dit le "Chief Curator". Enfin, dans le monde du journalisme, c'est Robin Good qui s'en est approché le plus avec sa notion du NewsMaster, également en 2004.

Mais c'est à Steven Rosenbaum, auteur du livre Curation Nation, que revient la palme de la meilleure tentative pour expliquer le phénomène qui, disons le toute de suite, se présente de différentes manières et qui en adopte divers modèles et formes. Non seulement l'auteur présente un plaidoyer solide en faveur du principe de la curation mais aussi, par ricochet, il relate l'histoire et l'évolution du web au cours des 15 dernières années. Rosenbaum n'est pas le premier venu quant il s'agit de création et de présentation de contenus.

Les férus d'histoire apprendront aussi que les premières réalisations de Content Curation ont surtout consisté à regrouper, à organiser, à classer et à diffuser des quantités importantes d'information: du système de classement de Melvil Dewey aux choix des contenus des premiers câblodistributeurs, en passant par le Reader's Digest de Dewitt Wallace.

Mais la révolution Internet et surtout l'explosion des médias sociaux, rendent l'organisation des informations plus périlleuse sinon impossible. 

Prenons seulement le canal YouTube : à chaque minute, 24 heures de vidéos y sont déposées (1). Bien sûr, on pourra toujours dire que 99% des contenus sont médiocres (du type "chaton fait pipi dans sa litière" ou "Jackass fait le pitre") mais il en reste tout de même 1%. Parmi ce 1% - tout de même énorme - se trouve peut-être un bijou d'information. On peut en dire de même pour les blogues, les sites de médias et d'entreprises, les sites de partage de toute sorte et bien entendu, les sites de réseaux sociaux.

Rosenbaum rappelle même que l'ancien directeur-général de Google, Eric Schmidt, déclarait en août 2010 (2) que depuis les débuts de l'humanité jusqu'en 2003, cinq exaoctets d'information avaient été produits. Depuis quelques années, la même quantité d'information est produite à toutes les 48 heures...et la croissance demeure constante.

Au plan des contenus générés par les utilisateurs (UGC), grands responsables de la surabondance de l'information - et phénomène qui donne en partie raison et naissance au concept de la curation Web - Rosenbaum était aux premières loges en créant et en produisant l'émission de télé MTV UNfiltered dès 1994 - unes des premières expériences de contenus provenant du grand public. Son succès a été instantané; on peut dire aussi qu'il a mené au phénomène de la "télé-réalité". 

Plusieurs années plus tard, l'accessibilité aux moyens de production et de distribution étant devenue ce qu'elle est (presque tous les internautes aujourd'hui peuvent prétendre être un micro-média) Rosenbaum allait fonder un moteur de recherche de vidéos "en temps réel", un outil de curation appelé magnify.net. Son but ? Offrir les meilleures productions vidéos selon des domaines et des niches très spécifiques. Le choix et le tri des vidéos se feraient donc par le biais d'une intervention humaine et non par le biais d'algorithmes...

C'est justement cette intervention humaine qui est à la base de la curation. D'abord en matière de recherche, puis au plan d'une pratique d'éditorialisation des contenus et des liens; cette dernière n'étant pas tout à fait nouvelle puisque les blogueurs (les premiers véritables curateurs) et les journalistes avant eux avaient déjà développé cette pratique. Je reviens plus loin sur la place de l'édition et de la création de contenus en curation.

Rosenbaum postule que la recherche web ne fonctionne plus, qu'elle est brisée. Nous sommes dans un free-for-all de données et de métadonnées brutes. Il en fait la démonstration par une recherche de son nom dans Google Images. Il trouvera bien des images qui le concernent, et d'autres pas du tout, mais il souligne que le moteur ne peut pas faire de différence entre une photo de lui et une photo prise par lui.  On sent donc que la recherche doit passer par une forme de curation humaine et sociale, et que les données doivent être accompagnées d'éléments contextuels que seule l'intervention humaine est en mesure d'offrir pour être vraiment efficace.

Comment en effet arriver à filtrer ce déluge d'information et à y trouver un sens ? 

Une des promesses de la curation consiste donc à offrir des signaux de clarté parmi le vacarme ambiant et à regrouper ces signaux en un seul endroit et par le biais d'une mise en contexte particulière. Ce type de curation épouse donc les modèles de l'agrégation et de la distillation, deux des cinq modèles (3) de Rohit Bhargava, qui font dire à certains que la curation consiste à prendre les contenus des autres et à les placer ailleurs...

L'agrégation, même accompagnée de quelques bribes d'un contenu orignal peut parfois être contestée en Justice malgré le principe de l'usage équitable ou du fair use. Voir à ce sujet cet article en anglais ou cet autre en français.

Quoi qu'il en soit, Bhargava et Rosenbaum voient tous deux dans la curation des enjeux importants pour les entreprises, les marques, leur marketing, les médias et leurs stratégies de contenus mais également pour les communautés d'affinités. Pour ce dernier aspect, on peut songer à des communautés d'intérêts synchronisés à travers une curation commune où on parle tous du même sujet dans un espace-temps donné, ce qui enrichirait la conversation et réduirait la cacophonie, plutôt que d'avoir des avis multiples et épars dont les sources le sont tout autant. 

C'est un aspect intéressant car cela touche à l'abondance des informations du real-time web que la curation peut en partie canalisée en right-time web. La diffusion et le partage de contenus pertinents, au bon moment, vers les bonnes personnes et à travers un canal commun ont eu, de tout temps, des répercussions significatives dans toutes les sphères de la société. Il va sans dire que ce type d'activité peut rendre service non seulement aux veilleurs, mais aussi aux analystes et aux spéciaistes en communication.


Mais un des modèles les plus intéressants de la curation consiste en ce que Rohit Bhargava nomme le mashup dans lequel de nouveaux savoirs et de nouvelles significations se greffent aux mots, aux images, aux sons et aux objets des autres. C'est également l'avis de Paule Mackrous, une des premières  conservatrice ou commissaire du monde de l'art à s'être prononcée sur le phénomène et qui exige une "Web curation avec de la personnalité". 

En effet, n'est pas web curateur qui veut. La pratique, quel que soit le domaine de prédilection, nécessite des habiletés intellectuelles multiples.

Personnellement, je n'entrevois pas de grand avenir pour la curation si elle n'est pas accompagnée d'un contenu original marqué: arguments en faveur des choix retenus, explication du contexte, réflexion, critique, analyse et création de nouveaux savoirs.

Voici un exemple d'agrégation personnelle sur le thème du Curateur de contenu, conçue avec l'aide de l'outil Pearltrees. Notez toutefois qu'il est aussi possible d'ajouter des commentaires pour chacune des "perles" colligées mais l'accent est mis davantage sur un type d'agrégation visuelle...

Curateur de contenu

Voici un autre de mes arbres de perles intitulé Critique de la curation :

Critique de la curation


Quant on parle à la fois de création et de curation, l'effet donne plutôt ceci : voir un des mes billets écrit à l'aide de l'outil Storify ou encore celui-ci.

Coïncidence heureuse, la journaliste Nathalie Collard parlait justement de cet outil pour le journalisme dans sa chronique du lundi 4 avril 2011.

En terminant, voici un billet largement inspiré d'une partie du chapitre # 15 du livre de Rosenbaum (Are content Aggregators Vampires ?) intitulé, chez Mashable, Why curation is just as important as creation.

Merci de votre lecture.

Patrice Leroux

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